La commune de Montsinéry-Tonnégrande possède un territoire richement boisé. Nombreux sont les témoignages anciens sur l’exploitation forestière menée sur les rivières des Cascades, de Saint-Pierre et de Tonnégrande, dont les rives sont alors très fréquentées après l’abolition de l’esclavage et la découverte de l’or.
Carte des concessions agricoles, forestières et aurifères du quartier de Tonnégrande (1876).
© Archives départementales de Guyane.
Nous avons retenu l’exemple d’un exploitant forestier, Louis Jonot, mort noyé près du dégrad de son exploitation tonnégrandaise le 17 décembre 1867.
L’exploitation forestière de Jonot se situait à 12 km du bourg de Tonnégrande sur l’habitation La Providence qu’il louait rivière Saint-Pierre à l’huissier Bordes pour 100 francs par an.
Les archives du notaire Saint-Michel Dunezat conservent son inventaire après décès. Le notaire ne s’est pas rendu sur place, il n’a procédé qu’à l’inventaire de ses papiers. C’est le lieutenant commissaire commandant du quartier et officier de l’état civil de Tonnégrande, Frédéric Hélène, qui, accompagné du surveillant rural Eugène Piomba, réalisa la pose et levée des scellés, ainsi que l’estimation des biens laissés par le défunt.
Avis de vente de parcelles de l’habitation La Providence.
© Archives départementales de Guyane.
Ce document nous renseigne non seulement sur la vie quotidienne de l’exploitant forestier à Tonnégrande, ses anciennes activités, mais lève aussi le voile sur ses affaires et ses clients, sur le circuit commercial de ses produits depuis la forêt de Tonnégrande jusqu’aux berges du canal Laussat à Cayenne.
Parmi les clients qui lui sont redevables, signalons Théodore Céïde pour fourniture de briques et charroi, Renauva pour fourniture de matériaux, Pélage, Dominique ou Marius, pour matériaux. Le notaire porte également des créances douteuses à la liste, celles d’Adonis, menuisier, Raymond, charpentier, entrepreneur et Giaimo, entrepreneur.
Les 26 premiers feuillets d’un registre de compte, « vieux, dont le papier est altéré par l’humidité et dont les feuillets sont détachés en grande partie », concernent les comptes du défunt avec les ouvriers qu’il employait : « Les comptes sont assez mal tenus et l’écriture en est difficile à lire. Monsieur le Curateur s’est réservé d’en faire lui-même le dépouillement s’il y a lieu ».
Les autres feuillets contiennent les créances déjà évoquées ainsi que d’autres marchés signés avec une demoiselle Marie-Louise ou une dame Laurent de Macouria.
Parmi les créances possibles au bénéfice de la succession figurent des bordages restant d’une plus grande partie de matériaux que Léonie Hermina, propriétaire, demeurant place du Dépôt-de-Bois à Cayenne, s’était chargée de vendre pour le compte de Jonot. Ce reste est estimé par le commissaire-priseur à 78 francs ; il s’agit de six bordages en cèdre jaune de 7 m de longueur à douze francs pièce et d’un bout de bordage de même bois, mesurant 4 m de longueur.
Il est, enfin, fait mention et réserve de matériaux, notamment de bois d’équarrissage, déposés par Jonot sur les bords du canal Laussat. Le curateur aux successions vacantes « fait toutes réserves pour rechercher ces matériaux et, s’il y a lieu, pour les faire comprendre à l’inventaire ».
1er scellé apposé sur la porte d’une chambre servant de magasin au rez-de-chaussée
– un petit baril saindoux : 45 F.
– un demi-tierçon de vinaigre : 20.
– trois dames-jeannes vides, à moitié dépaillée : 4.
– trois petites boîtes peinture : 16.
– clous, pointes et un petit paquet de rivets : 15.
– un bouvet à deux pièces, trois ciseaux de menuisier, trois becs d’âne ayant déjà servi : 10.
– un flacon de vin, une bouteille d’huile d’olive, une bouteille malaga : 5.
– un paquet de bougies : 1,20.
– sept petites fioles contenant divers médicaments : 5.
– un grand canari en terre : 1.
Première page du procès-verbal dressé par Frédéric Hélène des biens de Jonot (1868)
© Archives départementales de Guyane.
2e scellé dans une chambre au grenier
– une malle en grignon : 3.
Dans la dite malle, les objets suivants
– un paletot en étoffe : 5.
– une autre petite malle, sans clef, en grignon : 1.
– trois vieux pantalons : 2.
– trois vieilles chemises, usées : 2.
Dans une grande malle
– deux vieux gilets : 1.
– quatre vieux mouchoirs, foulard, indiennes : 1,50.
– deux chemises blanches, demi-usées : 2.
– deux vieilles nappes : 2.
– six pantalons à moitié usés : 7.
– une redingote en drap, déjà servie : 10.
– un coupon de drille : 0,50.
– linges sales trouvés dans la même chambre sur une corde
– six chemises en partie verrées : 8.
– six pantalons en partie usés : 6.
– un gilet noir tout usé : 0,50.
– un pantalon gros drap, déjà servi : 2.
– une couverture de grosse laine : 4.
– deux vieux hamacs en toile : 3.
– une chemise de laine, déjà servie : 4.
– une petite terrine en faïence : 0,50.
– trois paniers pommes de terre un peu avariées : 12.
– cinq paniers oignons, à cinq francs cinquante centimes chaque : 27,50 F.
– deux dames-jeannes tafia à quinze francs l’une : 30.
– quatre dames-jeannes vides, presque dépaillées : 6.
– un peu de farine dans un baril : 6.
– un décamètre usé : 0,50.
– une montre en argent, ayant besoin de réparations : 40.
Objets en évidence, qui se trouvèrent dans le hangar et dehors
– cinq scies : 18.
– un montant de scie : 1,50.
– deux ciseaux charpentier : 3.
– deux marteaux, demi-usés : 1.
– deux hachereaux, déjà servis : 1.
– quatre herminettes déjà servies : 10.
– une fouine : 2.
– neuf haches d’équarrissage, le tout déjà servi et partie usé : 18.
– une plaine : 1.
– quatre tarières : 6.
– deux vrilles : 1.
– deux scies de long, déjà servies : 20.
– deux chevalets : 4.
– trois varlopes en mauvais état : 6.
– un rabot : 2.
– une équerre en bois : 1.
– deux serre-joints : 10.
– un cric : 30.
– deux tenailles : 2.
– trois vieilles limes : 1.
– trois vieilles gouges : 1.
– un petit établi avec une vis : 15.
– deux brouettes en mauvais état : 12.
– deux pioches : 4.
– une houe à canot (cassée) : 1.
– deux petites meules, une presque usée : 12.
– un lot de diverses ferrailles coupées, quelques sabres d’abattis usés : 25.
– quatre moules à briques : 2.
– un vilebrequin et quelques mèches, la plupart cassées : 15.
– une coque de canot : 12.
– une idem idem : 6.
– trois idem idem, à quinze francs : 45.
– une idem idem : 20.
– une idem idem : 15.
– deux idem idem à dix francs chacune : 20.
– un petit canot postillon dit le Saint-Louis : 150.
– un autre canot de transport, pas en trop bon état : 150.
– un morceau de ( ?) : 0,80.
– une vieille voile : mémoire.
– vingt-huit pièces de bois d’équarrissage de faibles dimensions, en tout cent quarante mètres de long, le tout à cinquante centimes le mère : 78.
– quatre-vingt-six bordages, manquant de longueur, quelques-uns de qualité inférieure, à trois chaque : 258.
– douze rebus de planches ou demi-planches : 12.
– un lot de cordages : 8.
– une échelle : 3.
– quatre barils de farine, un peu avariée : 80.
– un tierçon bacaliau, avarié : 25.
– un dito morue avariée : 45.
– trois carafes en terre : 2.
– sept verres (un casse) : 1,80.
– cinq assiettes en faïence : 1.
– deux plats longs : 0,80.
– deux saladiers : 3.
– quatre chaudières : 5.
– cinq canaris en terre : 1,50.
– sept vieilles paires de couverts en fer : 1.
– un moulin à café, un dito pour du poivre (en mauvais état) : 1.
– un pétrin : 6.
– une petite terrine : 0,40.
– trois tables et deux bancs en grignon : 15.
– trois poulies : 6.
– quatre lattes : 1,20.
– six poules, un canard : 7,50.
La gardienne a déclaré que les autres étaient disparus.
– un vase de nuit : 0,50.
– un baril d’avoine : 20.
– une vieille paire gros souliers, usée : pour mémoire.
Total mille trois cent trente-un francs vingt centimes : 1 331,20 F.
On nous a déclaré que, près du dégrad où Jonot s’est noyé, il y avait des pièces de bois d’équarrissage qu’on ne pourrait retirer peut-être qu’en mer basse dans les fortes marées. Nous n’avons donc pu les apercevoir.
Malgré les recherches les plus minutieuses que nous avons faites, nous n’avons trouvé aucune valeur soit en argent ou en papier.
Dans une des malles, nous avons trouvé divers papiers que nous avons mis sous enveloppe et scellés du sceau de la commune de Tonnégrande pour être remis à qui de droit.
Les scellés ayant été levés et l’inventaire terminé et après avoir reconnu que tout était intact, nous avons déchargé la veuve Marcelin Saint-Fort du gardiennage des dits scellés dont elle avait été chargée.
Fait et clos le présent procès verbal après avoir vaqué par triple vacation dans le matin et une dans l’après midi jusqu’à cinq heures et demie, heure de notre départ pour le bourg et l’avons signé avec notre greffier ad-hoc. Les jour, mois et an que dessus et de l’autre part. Hélène Frédéric. Eug. Piomba. »