Les archives contiennent parfois de petits faits divers qui peuvent faire aujourd’hui sourire mais révèlent surtout le comportement de nos prédécesseurs dans une tout autre situation sociale et économique, celle de l’habitation coloniale esclavagiste.
Ainsi en est-il d’une affaire de contrebande de rhum à Montsinéry en 1823.
Le commissaire-commandant du quartier de Montsinéry, René Louis Thoulouse, propriétaire de l’habitation Risquetout, fait arrêter une esclave venue de Cayenne, prénommée Clara. Se conformant à la réglementation, elle est pourtant munie d’un permis de déplacement rédigé par son maître Michel André.
Permis du maître à son esclave Clara.
© Archives départementales de Guyane, 1J 140.
La raison de l’arrestation de Clara est expliquée dans une lettre adressée par Thoulouse à l’ordonnateur de la Guyane, commissaire de la marine, datée de Risquetout du 21 novembre 1823.
« Vu la décision de Son Excellence le commandant et administrateur pour le roi en date du 10 avril 1823, je vous fais conduire la négresse nommée Clara. Elle est munie d’un permis de son maître pour, dit-il, vendre des salaisons au quartier de Mont-Sinéry.
Attendu qu’elle fait commerce de vendre à petite mesure du tafia aux nègres, ce qui est contre les ordonnances et règlements de police, je l’aurais fait arrêter et lui aurais fait saisir une dame-jeanne presque pleine de tafia, à l’exception de peu de chose qu’elle aurait déjà vendu à des nègres de nos habitations.
J’ai cru qu’il était de mon devoir de vous la faire conduire avec la dame-jeanne que j’ai fait bien boucher et cacheter.
Veuillez agréer, Monsieur l’ordonnateur, les sentiments de la haute considération avec laquelle j’ai l’honneur d’être le commissaire commandant le quartier de Mont-Sinéry et de Thimoutou. Thoulouse ».
Extrait de la lettre de Thoulouse.
© Archives départementales de Guyane, 1J 140.
L’ordonnateur, ne sachant comment intervenir, fait suivre la correspondance et le permis au maire de Cayenne, Merlet, qui lui-même les adresse au procureur du roi, Cadéot.
La réponse technique du 29 novembre 1821 de ce dernier montre que le cas ne semble pas s’être présenté fréquemment. La recherche menée dans les articles des ordonnances l’amène à préciser la marche judiciaire qui sera donnée à cette affaire : l’ordonnateur devra poursuivre le propriétaire de l’esclave Clara devant le tribunal de première instance en section correctionnelle.
« Monsieur l’ordonnateur,
il vous a été adressé par Monsieur Toulouse, commandant du quartier de Mont-Sinéry une lettre énonciative du flagrant délit de la négresse Clara pour distribution clandestine de boissons. Vous l’avez renvoyée à Monsieur Merlet, qui, à son tour, l’a adressée au parquet du ministère public, toutes ces allées et venues n’ayant pas eu lieu si la législation sur cette question eût été bien connue. Je vais la mettre sous vos yeux dans l’intérêt de l’avenir.
Il y a beaucoup de variantes sur la compétence des juges qui devaient connaître de l’espèce de contravention dont s’agit et appliquer la peine. L’article 25, titre 8, de l’ordonnance du 15 décembre 1819 attribue l’exclusive prononciation de la peine à Monsieur le commandant et administrateur pour le roi en conseil spécial sur le rapport du directeur du domaine.
Mais l’article premier de l’ordonnance du 25 janvier 1821 range définitivement le droit d’appliquer et prononcer les amendes dans les attributions du tribunal de 1re instance, sauf pourtant leur voie d’appel ouvert devant une commission spéciale, dont la composition est prévue au même article.
Quant à la quotité de l’amende, elle est toujours restée et invariable. L’article 20 de l’ordonnance du 15 décembre 1819, l’article 18 de celle du 22 janvier 1821 et l’article 25 de celle du 15 novembre, même année, s’accordent sur la somme de 300 francs et veulent qu’elle soit provoquée à la diligence du directeur du domaine contre le maître de l’esclave.
J’ai en conséquence, Monsieur l’ordonnateur, l’honneur de vous faire repasser la lettre de Monsieur Toulouse avec le permis donné par Michel André à son esclave Clara, prévenue de contrebande. Avec ces deux pièces, vous serez à portée de faire poursuivre à votre requête par Maître Carnet, défendeur de la curatelle et du domaine, le sieur Michel André par devant le tribunal érigé en section correctionnelle. J’interviendrai à temps utile dans la cause, comme partie jointe, pour requérir condamnation à 300 francs d’amende ou à 3 mois d’emprisonnement, en cas d’insolvabilité absolue, au désir du quatrième et dernier paragraphe de l’article 25 de l’ordonnance du 15 novembre 1821, déjà citée. […] »
Il est ajouté en post-scriptum que « la dame-jeanne de tafia saisie sur la prévenue est déposée au parquet et sera portée à l’audience comme corps du délit » !
Dame-jeanne de Montsinéry.
© Kristen Sarge (2011).
Près de deux siècles plus tard, le rhum continue d’être produit en Guyane. Cette boisson qu’il faut boire avec modération n’est plus fabriquée que par une seule société, celle des Rhums de Saint-Maurice, implantée à Saint-Laurent-du-Maroni et primée à de multiples reprises au Salon international de l’agriculture.
Un beau livre collectif dirigé par Didier Béreau vient de paraître aux Editions du livre d’art. Les rhums de Saint-Maurice raconte sous une forme richement illustrée la saga des rhums Prévot des origines à 2012. Une belle image économique de la Guyane à conserver dans sa bibliothèque.