Tous les 25 août, la commune de Montsinéry-Tonnégrande honore l’un de ses deux saints patrons, saint Louis. Par le biais d’une fête et d’une messe, on commémore d’une certaine manière la création du bourg et de la paroisse de Tonnégrande, car les deux sont liés.
Revenons quelques années en arrière… Cent cinquante ans, à vrai dire.
Lorsque l’abolition définitive de l’esclavage a sonné en Guyane, le quartier de Tonnégrande, commandé par Alfred de Saint-Quentin, tente de s’organiser, tout comme celui de Montsinéry, pour construire des édifices publics propres à assurer sa survie administrative, politique, économique et sociale. Les autorités craignent la départ des anciens esclaves des habitations et de leur afflux sur la ville de Cayenne et il n’existe alors ni bourg ni paroisse. Rien de tout cela ; tout est à faire.
Une première transaction a lieu entre les époux Philibert Voisin, notaire, et Elisabeth Anastasie Bonnefoy, propriétaires de l’habitation Gibraltar, et le préfet apostolique de la Guyane, l’abbé Dossat. Un acte sous seings privés signés le 18 mars 1856 entre les parties prévoit la vente d’une parcelle de leur terrain, au lieu dit « Aouara », d’une superficie de 4 hectares 40 ares, soit 300 m de façade sur la rivière de Tonnégrande sur 140 de profondeur, à 1 km environ de leur établissement. Il est prévu que l’église paroissiale soit le cœur de la parcelle. Les premiers édifices sont édifiés avant même l’officialisation d’une vente.
Promesse de vente sous seings privés entre l’abbé Dossat et les époux Voisin-Bonnefoy du 18 mars 1856 (Arch. diocèse de Cayenne)
Entre dans la négociation, dans un second temps, le gouvernement de la colonie, désireux d’implanter un bourg dans le quartier de Tonnégrande. L’affaire entendue, l’arpenteur juré du gouvernement, Louvrier Saint-Mary, accompagné de son porte-chaîne et des prêtres missionnaires Guyodo et Durand, se rendent le 5 mars 1857 à la paroisse de Tonnégrande, nouvellement érigée, située sur la rive gauche de la rivière du même nom, pour délimiter et borner un terrain détaché de l’habitation Gibraltar que les copropriétaires Bonnefoy-Voisin ont promis de vendre à l’administration.
Les travaux d’arpentage du terrain mesurant 5 ha 23 a 10 ca, conduits sur les indications du père Durand, nécessitent quatre journées de travail. L’emprise du futur bourg est borné au nord, à l’est et à l’ouest par le reste du terrain Bonnefoy-Voisin et au sud par la rivière de Tonnégrande.
Extrait du plan directeur de la paroisse de Tonnégrande, Cayenne, 10 mars 1857 (Arch. dép. Guyane, 3P, en cours de classement) : le rectangle orangé (B) marque l’emplacement réservé à la future église.
Un plan signé du même arpenteur, daté du 15 mars suivant, représente les édifices construits sur les parcelles qui longent la rive gauche de la rivière.
Extrait du plan du terrain de la paroisse de Tonnégrande, Cayenne, le 15 mars 1857 (Arch. dép. Guyane, 7FI, en cours de classement).
(1) Eglise actuelle couverte en feuilles
(2) Eglise à construire
(3) Presbytère couverte en feuilles
(4) Ecole pour les enfants
Le notaire Joseph Dechamp dresse l’acte de vente le 9 juin 1857 entre Joseph Bonnefoy, propriétaire, capitaine au long cours, Etienne Bonnefoy, propriétaire, Mme Anastasie Bonnefoy, épouse de Philibert Voisin, tous demeurant à Cayenne, et l’administration locale d’une portion de l’habitation Gibraltar. La parcelle de 5 ha 23 a 10 ca vendue pour 800 F est recouverte en grande partie de « bois revenus ».
Le gouverneur approuve en conseil privé dans sa séance du 10 juin l’acte de vente du terrain destiné à la fondation d’un bourg à Tonnégrande et de son plan de délimitation.
L’ensemble du dossier, approuvé en conseil privé, intitulé « Vente à l’administration par MM. Bonnefoy frères et M. et Mme Voisin d’une portion de terrain d’habitation dite Gibraltar au quartier de Tonnégrande pour la création d’un bourg dans le dit quartier », est transmis par le directeur de l’Intérieur Michel Favard au service du contrôle le 15 octobre 1857.
Il contient un plan du terrain, un procès-verbal d’arpentage du 5 mars 1857, un arrêté du 30 mars portant autorisation d’achat, un acte de vente notarié du 9 juin, un extrait de délibération du conseil privé du 9 mai pour l’approbation de l’acte de vente, un extrait des minutes du greffe constatant le dépôt de l’expédition du contrat d’acquisition (22 juin), un acte de signification de l’huissier Bordes (17 juin), un extrait de la Feuille de la Guyane, n° 24 du 27 juin, contenant l’insertion de la notification de purge, 2 certificats négatifs d’inscription (31 août 1857), etc.
En janvier 1860, un premier projet architectural d’église paroissiale, dessiné par le directeur des Ponts et Chaussées, est soumis à l’approbation du conseil privé du gouverneur. Il doit remplacer le simple carbet qui fait office de chapelle depuis 1856 et qui menace ruine.
Le devis de cette construction s’élèverait à 29000 francs, ce qui est jugé trop élevé, « eu égard à la situation des finances de la colonie et à la population du quartier de Tonnégrande qui ne s’élève qu’à 800 âmes ».
Le conseil et le gouverneur décident que sera élaboré un nouveau projet, « simple hangar fermé qui sera parfaitement convenable pour servir d’église à un des quartiers les moins importants de la colonie ».
Le gouverneur Tardy de Montravel adresse au ministre pour avis le 15 novembre 1861 le plan et devis d’une nouvelle « petite » église, dont le budget a subi une baisse substantielle (de 24000 à 17000 francs).
« La dépense qui s’élève à 17000 francs environ sera répartie par moitié sur les deux exercices 1862 et 1863, déduction faite d’une somme de 2400 francs qui figure au budget de cette année et qui va être employée en achat de matériaux. D’après le projet de cahier des charges, les travaux de chaque exercice, qui se distinguent séparément. En agissant ainsi l’administration a voulu se mettre à la portée des entrepreneurs qui ne disposent pas de grands moyens d’exécution et que l’importance de l’entreprise totale aussi bien que la durée d’un engagement portant sur deux années, auraient pu éloigner de l’adjudication.
En parcourant le dossier joint à la présente, Votre Excellence verra que tout a été calculé et que les circonstances locales ont été mises à profit pour réaliser le travail dont il s’agit avec la plus grande économie. La première idée avait été de transporter à Tonnégrande l’église de la Comté, mais les matériaux provenant de cette église ont été trouvés en si mauvais état qu’ils n’ont pu être appropriés à leur nouvelle destination. L’administration s’est donc vue dans l’obligation de bâtir, mais elle a mis comme d’habitude toute son application à le faire à peu de frais ».
Quelques semaines plus tard, le 14 janvier 1862, le Conseil des travaux de la marine adresse au ministre le procès-verbal validant le projet architectural avec quelques observations modificatives.
« Le Conseil des travaux adopte à l’unanimité les conclusions du rapport ci-après lu au nom de la 4e section.
Le Conseil des travaux est saisi de l’examen d’un projet d’alignement pour la bourgade de Tonnégrande (quartier de la Comté), colonie de la Guyane française, auquel se rattache le projet d’une église pour trois cents personnes, avec une dépense (y compris somme à valoir de 1582 francs) de 17800 francs.
La bourgade de Tonnégrande est située sur un plateau de la rive gauche au nord-est de la rivière du même nom, laquelle est un des affluents de la rivière de Cayenne dans le quartier de la Comté.
L’église actuelle de Tonnégrande est une petite chapelle couverte en feuilles et tombant en ruines.
On propose de construire la nouvelle église au centre d’une place projetée sur la rive du cours d’eau et de manière que son entrée, avec portail à colonnes, soit tournée du côté de la rivière et que le fond de l’église soit aligné avec une rue projetée au nord.
La 4e section préférerait l’emplacement plus central X du plan, à moins toutefois que des circonstances spéciales et toutes locales ne s’y opposassent.
Si l’église devait être construite près de la rivière, il y aurait lieu, au moins, de la placer comme il est indiqué en rouge sur le plan, afin que, sans toucher à la façade, on pût l’allonger plus tard au besoin.
La position du cimetière projeté à quelques centaines de mètres seulement des groupes habités, quoique sous les vents régnants, est contraire à toutes les règles appliquées en France ; et la chaleur constamment humide du climat de la Guyane est un motif de plus pour l’éloignement du cimetière à une distance d’au moins 1 kilomètre de la dernière maison de la bourgade.
On devait d’ailleurs laisser ce champ de repos toujours sous les vents régnants relativement aux maisons.
Un dossier complet et détaillé avec soin concerne le projet d’église. Elle serait construite en pans de bois avec remplissage en briques et couverte en ardoises de bois dites bardeaux : ce projet paraît convenablement rédigé et les dispositions en sont justifiées dans le rapport à l’appui.
Relevé de la façade latérale gauche de l’église (Direction des Affaires culturelles de Guyane, service départemental de l’architecture et du patrimoine, Jean-Michel Moreau, Yvon Lentin, 1981)
Toutefois, la 4e section demanderait :
1°/ que la hauteur intérieure des deux petites nefs latérales fût augmentée de 0 m 50 au moins, par des motifs de salubrité ;
2°/ que des ventilations ou orifices d’évacuation avec capuchons en briques fussent distribués en grand nombre et en échiquier sur les divers versants de la toiture principale et des toitures latérales pour le tirage de l’air.
Quant à l’évaluation des dépenses, la 4e section n’a aucun moyen de les contrôler ; seulement, elle croit qu’en France une construction du même genre et de même grandeur, ayant 220 m² de superficie et une capacité cubique d’environ 1000 m3 coûterait au moins 17000 francs.
Dès lors, on doit s’attendre que, malgré l’emploi de bois et de matériaux de démolition, la dépense totale pour la mise en service de la nouvelle chapelle (y compris autel, chaire, confessionnal, armoires, tables fixes dans la sacristie et sonnerie de cloches, etc. etc.) sera d’au moins 20000 francs ».
Le cahier des charges pour l’adjudication s’applique à deux adjudications spéciales, l’une pour les travaux à faire en 1862 se rapporte aux maçonneries, charpentes et couvertures ; l’autre pour 1863 est relative au carrelage, plafonnage, à la menuiserie et aux ouvrages de serrurerie et peinture.
Ce cahier des charges, nécessairement très sommaire, contient toutefois toutes les conditions essentielles pour l’exécution, la réception et la garantie des travaux.
La 4e section a finalement l’honneur de proposer au Conseil des travaux de donner son approbation au projet présenté sous la réserve des diverses observations ci-dessus.
Fait à Paris, les jour, mois et an que dessus. » (Archives nationales d’outre-mer, 2701COL 119).
Après réception de l’approbation ministérielle, les travaux sont programmés pour la saison sèche 1862. Une cérémonie de pose de la première pierre de l’église de Tonnégrande a lieu le 2 septembre 1862 en présence du gouverneur, du préfet apostolique et des principaux chefs de service de la colonie, dont le directeur de l’Intérieur, qui a en charge les cultes.
Un an et demi plus tard, les travaux sont achevés et la bénédiction du nouvel édifice religieux, en présence des autorités de la colonie, est rapportée dans la Feuille de la Guyane française du 9 avril 1864.
La nouvelle église paroissiale, représentée sur un plan de l’arpenteur Eutrope du 16/02/1866 (Arch. dép. Guyane, 3P, en cours de classement).
La création de l’église Saint-Louis, premier édifice important du bourg, et la mise en place de la paroisse sont l’œuvre du père Durand, premier desservant de la cure.
Le prêtre Antoine Durand, fils d’Antoine Durand et de Marie Berlhet, né le 23 avril 1823 à Pont-Beauvoisin (Savoie), prononça ses vœux perpétuels le 26 août 1855 et arriva comme missionnaire en Guyane le 23 décembre 1855. Dix ans après son arrivée en Guyane, il décéda à l’hôpital militaire de Cayenne le 11 mars 1865. Il fut inhumé au cimetière paroissial de Tonnégrande. Sa tombe fut réhabilitée en 1978 à la demande du conseil municipal.
Tombe du père Durand au cimetière communal de Tonnégrande (Cl. Kristen Sarge, 2011)
On connaît plusieurs restaurations de l’église, limitées ou importantes, dont celle de 1968. Les travaux entrepris par la municipalité en 2011-2012 aura permis de retrouver des éléments architecturaux d’origine, comme les remplissages en brique du pays ou les pièces de bois composant son ossature, assemblées avec des chevilles en bois, un sol pavé de carreaux d’ardoise et d’hexagones de terre cuite, de nombreuses couches de peinture, etc. !
Eglise Saint-Louis de Tonnégrande en cours de restauration (Cl. Kristen Sarge, 2011)